Les suites de l'affaire Papon devant le conseil d'Etat

Publié le par Sylvain MANYACH

A la suite de sa condamnation à dix années de réclusion criminelle, le ministre de l'économie et des finances, en application de l'article 58 du code des pensions civiles et militaires, avait décidé de suspendre le versement de sa pension civile de retraite.

Mal lui en a pris. Par une décision du 4 juillet 2003, le Conseil d'Etat rappelait que l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, au sein duquel ne figure plus la catégorie des peines afflictives et infamantes et des peines seulement infamantes, a privé d'effet la disposition de l'article L. 58 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoyant, parmi les cas de suspension du droit à l'obtention ou à la jouissance de la pension et de la rente viagère d'invalidité, le cas d'une condamnation à une peine afflictive ou infamante..

Mais le collège des questeurs de l'assemblée nationale a eu plus de chance piur la même décision mais relative cette fois à la pension de retraite d'ancien député. Car par un arrêt du même jour, le Conseil d'Etat décidait qu' il n'appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs au régime de pensions des parlementaire. En effet, selon la heute juridiction, le régime de pensions des anciens députés fait partie du statut du parlementaire, dont les règles particulières résultent de la nature de ses fonctions ; qu'ainsi, ce statut se rattache à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement.

Doit-on se satisfaire de cette réponse, qui soustrait le régime de pension des députés à tout contrôle juridictionnel ? sans doute non pour un juriste(1). D'autant plus qu'il est difficle de suivre le Conseil d'Etat lorsqu'il laisse penser que les pensions de retraite des anciens députés relèvent de la souveraineté nationale...

Pour notre part, nous avions cru que la décision du 4 mars 1999 "président de l'assemblée nationale", où le Conseil d'Etat s'était déclaré compétent pour connaître des litiges relatifs aux marchés passés par l'assemblée nationale "sans qu'y fasse obstacle l'ordonnance du 17 novembre 1958"
avait constitué l'amorce d'un recul conséquent des actes caractérisés par l'immunité juridictionnelle.

L'arrêt Brouant du 25 octobre 2002 avait pourtant donner une clé pour comprendre dans quelles conditions le juge administratif pouvait se déclarer compétent :

par le règlement attaqué, le Conseil constitutionnel a entendu définir un régime particulier pour l'accès à l'ensemble de ses archives ; qu'eu égard à cet objet, qui n'est pas dissociable des conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel exerce les missions qui lui sont confiées par la Constitution, ce règlement ne revêt pas le caractère d'un acte administratif dont la juridiction administrative serait compétente pour connaître ;


On pouvait donc penser, a contrario avec le commentateur de l'arrêt Papon à l'AJDA (F Donnat et D Casas, 2003 p1603-1606) que
relève de la compétence du juge administratif ce qui est dissociable des missions confiées par la constitution à un pouvoir public.


et René Chapus lui même d'en conclure que
l'immunité juridictionnelle est vouée à être restreinte à ceux des actes qui ne sont pas détachables de la procédure parlementaire et de l'accomplissement par les assemblées de leurs fonctions en matière de législation et de contrôle du gouvernement.


(même citation). Et bien non !

Rappelons qu'auparavant, la haute juridiction avait retenu en partie la responsabilité de l'Etat : si la déportation entre 1942 et 1944 des personnes d'origine juive arrêtées puis internées en Gironde dans les conditions rappelées ci-dessus a été organisée à la demande et sous l'autorité des forces d'occupation allemandes, la mise en place du camp d'internement de Mérignac et le pouvoir donné au préfet, dès octobre 1940, d'y interner les ressortissants étrangers " de race juive ", l'existence même d'un service des questions juives au sein de la préfecture, chargé notamment d'établir et de tenir à jour un fichier recensant les personnes " de race juive " ou de confession israélite, l'ordre donné aux forces de police de prêter leur concours aux opérations d'arrestation et d'internement des personnes figurant dans ce fichier et aux responsables administratifs d'apporter leur assistance à l'organisation des convois vers Drancy - tous actes ou agissements de l'administration française qui ne résultaient pas directement d'une contrainte de l'occupant - ont permis et facilité, indépendamment de l'action de M. PAPON, les opérations qui ont été le prélude à la déportation ;, et elle avait en conséquence condamné l'Etat à prendre en charge la moitié des condamnations civiles prononcées à son encontre.

Bref, l'ancien préfet s'en est très bien tiré, sur le coup.

(1) Il n'y a pas qu'en matière de pension de retraite que le parlement est pratiquement à l'abris de toute contestation contentieuse. le droit de l'urbanisme ne s'applique pas au jardin du Luxembourg, dont chacun sait qu'il concerne la séparation des pouvoirs et l'autonomie des assemblées : l'article 76 de la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 est venue honteusement préciser qu'en
application du principe de la séparation des pouvoirs et de l'autonomie des assemblées parlementaires qui en découle, les règles applicables à la gestion du patrimoine constitué par le jardin du Luxembourg, dont l'affectation au Sénat résulte de l'article 2 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, ainsi que les règles relatives aux constructions, démolitions, travaux, aménagements et installations dans le périmètre et sur les grilles du jardin, sont fixées par les autorités compétentes du Sénat.


Cela sans que le Conseil Constitutionnel n'ait cru bon de se saisir d'office de la question de la conformité de cet article avec la constitution...

Publié dans jurisprudence

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